Jamal Boushaba

Fleurs, objets universels et autres petits bonheurs

« Je ne suis pas dans le questionnement », dit Rita Alaoui. L’art contemporain ? Pour Rita, « contemporain » veut dire « d’aujourd’hui », tout bonnement. Il est vrai que la jeune femme pratique une peinture débarrassée. « Je peins des carottes et des petits pois parce que je n’habite pas la campagne et que je n’ai pas la main verte. Ca part juste d’une frustration », assure-t-elle, avec un sourire et une simplicité auxquels nous ne sommes pas obligés de totalement nous fier.

C’est à seize ans que Rita Alaoui décide de peindre. Elle prend des vieux numéros de Christie’s dans la bibliothèque familiale et se met a copier des toiles de maîtres impressionnistes – comme ça, sans avoir jamais pris de cours. Enfant, Rita aimait suivre les conversations qu’entretenaient ses parents avec les artistes habitues de la maison. La famille a toujours soutenu Rita dans sa vocation. « Je sais que j’ai été privilégiée ».

L’artiste se réclame de l’école Américaine – laquelle ? – mais cite volontiers Rothko , Kacimi, plus étonnement Tàpies. Face à son travail, on ne peut que penser fortement à Matisse, évidement, encore et toujours. Bien que singulière, la peinture de Rita Alaoui nous est familière. « J’aime le paradoxe entre l’opacité et la légèreté. » Le colorisme et le primitivisme de notre artiste sont aussi patents que réjouissants.

Il y a du « Après la pluie, le beau temps » chez Rita Alaoui. Une lumière crayeuse, une transparence joyeuse, irisent le monde alentour. Fermons les yeux. Un matin de printemps dans une cour d’école. Il ne fait pas trop chaud. Une fillette à la peau brune et aux cheveux nattés. Elle porte une robe en coton blanc sur laquelle s’étalent, ici et là, des traces de fraise écrasée. Un garçon en jean et pull over rouge joue avec un grand ballon rayé de jaune et d’orangé. Rouvrons les yeux. Non. Rita Alaoui ne peint que des pommes – vertes et qu’on devine acidulées -, ou des fleurs – beaucoup de fleurs – stylisées, ou des cactus. Et aussi des récipients : bouteilles, coupes, jarres, encriers. Des bribes de nature donc, et des objets universels, des ustensiles premiers. Autant d’éléments reconnaissables bien que rendus à leur plus simple trait. Mais le trait est rythme, ponctuation. Mais le rond est imparfait. Le goût de  l’inaccompli est, chez Rita Alaoui, totalement maîtrisé et nous séduit. Tout le dessin devient motif chez elle. Tout motif ayant pour fonction le peuplement de la surface plane. Décoratif ? Non, ludique – c’est-à-dire le contraire de romantique. Pourquoi pas décoratif d’ailleurs ? (L’artiste ne s’en défend pas). L’ornement n’est pas crime. Mais il faudrait une forte mauvaise foi pour ne pas voir dans la peinture de Rita Alaoui bien plus que cela. Car d’où lui vient alors cette connaissance – cette indubitable science – des couleurs et des figures de l’enfance ? Enfance du monde – au sens caraïbe du terme.

Rita Alaoui affirme que son travail artistique n’à d’autre but que de « faire du bien  aux autres et à (elle) – même » Art thérapeutique ? Démarche autobiographique, plus certainement. Rita travaille (sur) une idée du bonheur domestique – des petits bonheurs de la vie, plus exactement. Les mots – clés que Rita Alaoui dit et redit – comme on égrène un chapelet – sont : organique – fertilité – abondance – terre – graines - densité. Ce dernier est le terme qui lui vient le plus souvent en ce moment. L’artiste parle également d’un mystérieux cercle de la roue. Mystique tranquille. Exaltation d’une nature – jardin – potager apaisée. Maternité.

Bien plus qu’à Paris – où elle réside trois ans durant -, c’est à New York que Rita Alaoui dit avoir puisée énergie – liberté – sérénité perceptible  sur elle comme dans ses toiles. 

Quatre années d’études – elle est diplômée de la célèbre Parsons School of Design, option Beaux-Arts – et de petits boulots – elle a néanmoins travaillé dans l’atelier PAO de New York Magazine – l’ont définitivement attachée à cette mégapole de tous les possibles, de toutes les permissions, où elle retourne régulièrement, « en pèlerinage » .

Dans une autre vie, Rita Alaoui pratiquait un figuratif post impressionniste et/ou post expressionniste bien plus qu’adroit. Ses nombreux nus, ses portraits et autoportraits étaient beaux sans être ni trop pop, ni trop élégants, comme on voit trop souvent chez ceux d’Amérique.  Y reviendra-t-elle un jour ? Elle ne dit pas non. Pour l’heure, son travail tend de plus en plus vers une abstraction organique des plus intéressante car détachée. Rita Alaoui est ailleurs déjà : elle pense sculpture, réfléchit installation, rêve monumental. Demain. Bientôt.

Jamal Boushaba. Casablanca, mai 2007
Exposition à la Galerie Shart, Casablanca

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