Rita Alaoui & Fatma Jellal

Entretien

FJ : Ton exposition "Archétypes" à la galerie FJ, marque un tournant important dans ta carrière artistique. On sent une certaine radicalité dans ta démarche, avec une volonté toutefois de développer une pensée à laquelle tu restes fidèle. Quelles sont les raisons qui t'ont poussée à expérimenter l'installation ?

RA : J’avais besoin « d’aller dans d’autres directions ». J’ai choisi de prendre des risques pour aller plus loin.

FJ : Tes sculptures mobiles vont flotter dans l'espace de la galerie sous forme de méduses. Cet animal, habituellement si hostile devient tout à coup poétique. Dans la première phase de montage de ton exposition, tu évoquais certaines références mythologiques ?

RA : Tu fais certainement allusion au mythe de la méduse dont les cheveux deviennent des serpents et dont le regard pétrifie tous ceux qui le croisent.

Cet élément est anecdotique ; L’important pour moi était de reconstituer un monde marin bioluminescent avec 50 méduses lumineuses suspendues au plafond qui se balancent dans un espace bleu outremer.
La forme exceptionnelle et l’aspect fluide et impalpable de la méduse me fascinent.
La lumière dégagée naturellement par ce cnidaire est magique.
J’ai voulu démystifier l’idée que l’on se fait de la méduse. Le visiteur peut d’ailleurs se promener dans l’installation sans danger !

FJ : J'ai vu pour la première fois ton travail à Casablanca dans une galerie, aujourd'hui fermée, il y a une dizaine d'année à ton retour des Etats-Unis. Tes peintures apportaient une fraîcheur sur la scène artistique marocaine qui n'en finissait pas d'accueillir des croûtes dégoulinantes. As-tu pris conscience du retard pris dans le royaume en terme de création artistique toi qui vivait à quelques pas du MOMA ?

RA : En revenant vivre au Maroc je me doutais bien que j’allais rencontrer un grand décalage ; Mais il était important pour moi que mon travail prenne sa source au Maroc après mes pérégrinations, tout en travaillant bien sûr pour une lecture universelle.
Le fait que les choses soient en retard par rapport à d’autres scènes artistiques est pour moi un moteur.

FJ : Seules deux grandes peintures sont présentes dans l'expo "Archétypes".

Il y a un changement tant dans la forme que dans le fond ? Elles flottent elle aussi, comme tes sculptures ?

RA : Ces peintures sont la pour accompagner le reste du travail, disons qu’elles sont une représentation du sujet que je traite. Effectivement j’ai tenu à ce qu’elles soient légères et aériennes. Je ne veux pas qu’elles soient l’objet de l’exposition mais une empreinte picturale de cette forme qui me fascine tant.

FJ : Les collages sont très beaux, ils fonctionnent en diptyques ? Les arbres perdent leurs feuilles, ils les retrouvent sur le collage d'à côté !!! Et c'est toute une forêt qui envahit la galerie.

RA : Je souhaitais les présenter en une seule installation, mais ils peuvent très bien fonctionner en diptyque.
C’est par réaction à ce monde trop industrialisé que l’arbre intervient d’une façon récurrente dans mon travail ; J’ai réalisé plusieurs projets destinés aux institutions dans lesquels l’arbre est omniprésent.
Ici l’arbre est l’objet unique des 30 collages de forme identique, seul le papier imprimé diffère.
Cette forme est mon archétype d’arbre, que je décline suivant le lieu ou l’objet de l’installation.
Il y a 15 arbres en collage de papier cadeaux et 15 empreintes, ces dernières étant la forme simplifiée de l’arbre.

FJ : La surconsommation est aussi une de tes préoccupations

RA : Un gros ‘cupcake’ est pour moi l’objet qui véhicule le mieux la surconsommation des sociétés occidentales. J’ai traité ce sujet lors de ma dernière exposition a travers des peintures et cette fois ci, voilà ces même cupcakes qui ont grossi et qui ont pris un air bidimensionnel. Je tiens à garder une part d’humour!

FJ : Il y a une pièce très simple, presque enfantine où l'on assiste à la métamorphose d'un cake en méduse ?

RA : les phases intermédiaires de la progression d’un cupcake vers une méduse ! Je m’interroge sur la transformation d’un objet vers un autre.

FJ : Il y a aussi "L'arbre aux pensées" qui lui aussi a perdu toutes ses feuilles, sur chacune d'elles est ‘inscrite’ une phrase qu'on écoute également au moyen d'écouteurs. Tu parles d'une voix monocorde, dans le calme de ton atelier, en nous les livrant en vrac. C'est très beau et terrifiant à la fois ?

RA : Cette pièce fait écho aux autres pièces qui constituent l’exposition. Le visiteur est d’emblé plongé dans un univers peuplé de créatures marines et végétales. L’espace temps n’existe pas.
Les méduses se balancent. Les arbres flottent.
Les arbres ont plusieurs branches et 20 feuilles.
Chaque feuille représente une catégorie de pensées, comme les rêves, les désirs, les pulsions, les énergies etc ….
Les pensées sont libérées et se dissipent sur le sol.
La terre absorbe les pensées positives et rejette les pensées négatives.
Elle réalise les vœux de chaque pensée positive.
L’idée est que l’arbre abrite une pensée collective et que celle ci est mise à la disposition du public au moyen d’un dispositif sonore.
J’ai recueilli toutes mes pensées lors de la gestation de l’exposition.

FJ : Le chemin des ventouses vient rompre avec l'univers éthéré du reste de ton travail. La pièce est constituée d'une armée de 99 ventouses alignées de façon très graphique. J'y vois une parade militaire. Qu'en penses-tu ?

RA : C’est effectivement la pièce la plus rigide et organisée de l’exposition.
Tout comme l’arbre elle est liée à la notion d’encrage et à l’appartenance à une idée.
Que ce soit pour enlever le mal ou pour faire le vide, la ventouse aspire avec force. L’objet est graphiquement très intéressant et l’on ne le trouve que très rarement avec un manche en bois de fabrication artisanale.
Nous avons dû chercher dans plusieurs Souks avant de trouver l’objet.
Le chemin des ventouses est le chemin vers le renouveau et le progrès de soi.
Faire le vide pour avancer. Cet objet est aussi une allusion aux ventouses médicinales qui m’ont toujours fascinée. Je me suis toujours intéressée aux médecines parallèles et c’est ce qui m’a menée vers cette recherche. Quand au coté militaire, il doit surement y avoir en moi une part obsessionnelle !

Entretien réalisé le 3 Octobre 2010 à Casablanca

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