Omar Berrada

Rita Alaoui glane au gré de ses promenades des objets que la nature semble avoir abandonnés. Os, coraux, noyaux, coquillages, morceaux de bois flotté... Des restes, sans fonction apparente, détachés qu’ils sont du contexte qui donnait sens à leur existence. L’os n’a plus son corps-enveloppe, le noyau est dépourvu de fruit. Mais ces objets ne se résument pas à des présences inertes. Ils portent la marque du temps qui fut témoin de leur érosion. Ils sont chargés d’une absence qui est un appel.

Ce sont des objets qu’on observe en silence, dans un mélange d’apaisement et de mystère. L’absence qu’ils portent en eux fait signe vers nous, comme elle a dû faire signe à la main de l’artiste qui, sur le rivage, s’est tendue vers l’objet pour le recueillir. J’imagine le hasard objectif de la « découverte » comme celui d’une rencontre, ou comme une scène de reconnaissance : un mélange obscur de mémoire et d’affect, brouillant légèrement la distinction entre la conscience et l’objet, a fait qu’une main s’est avancée.

L’artiste recueille les objets, les numérote, les photographie, les rassemble en familles. Elle les lave comme on laverait un mort, et leur offre des écrins de céramique blanche qui sont autant de cercueils. Des cercueils ouverts afin qu’on puisse, peut-être une dernière fois, les saluer dans leur repos. Peut-être faut-il envisager l’exposition comme une veillée mortuaire, une occasion rituelle de célébrer des existences minuscules avant qu’elles ne rejoignent l’oubli des siècles.

Certains des écrins ressemblent à des socles sur lesquels les objets, telles des sculptures, viennent se poser, inversant le rapport traditionnel de l’œuvre à son socle : ici, c’est le socle qui est sculpté par l’artiste, et parfois il va jusqu’à contenir, au lieu de simplement soutenir, l’objet pour lequel et à partir duquel il a été conçu.

 Mais il y a plus que les socles. Des objets trouvés découle tout un ensemble d’œuvres sur différents supports. Des natures mortes photographiées, des dessins de grand format au stylo acrylique blanc sur canson noir, des peintures-collages…

 Les peintures mettent en scène à la fois des photocopies d’objets trouvés et des images découpées dans de vieilles encyclopédies. La juxtaposition de ces deux éléments iconographiques est comme une rencontre entre le hasard de l’instant (la trouvaille de l’objet) et la mémoire du monde (le savoir encyclopédique). La composition peinte met par ailleurs en scène une rencontre, dans l’espace de la toile, entre les pratiques hétérogènes qui constituent l’art de Rita Alaoui.

 Les objets trouvés apparaissent ainsi comme les modèles du peintre. Patients et coopératifs, ils se laissent photographier, peindre, mouler, photocopier. Ils vont même jusqu’à se laisser exposer tels qu’en eux-mêmes. Ils apparaissent en définitive comme des catalyseurs du processus de création. Ils sont au départ d’un travail d’exploration et d’expérimentation qui se déploie dans des directions nombreuses et qui renouvelle le travail plastique de l’artiste. Rita Alaoui a offert une mort digne à des objets délaissés. En retour, ils offrent à son art une nouvelle vie.

Omar Berrada, 2015
(écrivain et commissaire d’exposition)

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Rita Alaoui collects through her walks objects that nature seems to have abandoned. Bones, corals, stones, shells, pieces of driftwood ... Remains, without any apparent function, detached from the context that gave meaning to their existence. The bone no longer has its body-envelope; the nucleus is devoid of fruit. But these objects are not limited to inert presences. They bear the mark of time that witnessed their erosion. They are charged with an absence, which is a call.

They are objects observed in silence, in a mixture of appeasement and mystery. The absence they carry in them makes a sign towards us, as it did wave to the hand of the artist who, on the shore, has strained towards the object to collect it. I imagine the objective chance of «discovery» as that of an encounter, or as a scene of recognition: an obscure mixture of memory and affect, slightly blurring the distinction between consciousness and object, has made a hand to come forward.

The artist collects the objects, numbers them, photographs them, and brings them together in families. She washes them as one would wash a dead man, and offers them white ceramic cases that are like coffins. Open coffins so that we can, perhaps one last time, greet them in their rest. Perhaps the exhibition should be regarded as a mortuary vigil, a ritual occasion to celebrate tiny lives before they reach the oblivion of centuries.

Some of the caskets look like pedestals on which objects, such as sculptures, come to rest, reversing the traditional relationship of the work to its base: here, it is the base that is carved by the artist, and sometimes it goes as far as containing, instead of merely supporting the object for which and from which it was conceived.

But there is more than the pedestals. Found objects derive a whole set of works on different media. Photographed still lifes, large format drawings in white acrylic pen on black canson paper, paintings-collages ...

The paintings feature both photocopies of found objects and images cut-out from old encyclopedias. The juxtaposition of these two iconographic elements is like an encounter between the chance of the moment (the find of the object) and the memory of the world (encyclopedic knowledge). The painted composition is also about a meeting, in the space of the canvas, between the heterogeneous practices that constitute the art of Rita Alaoui.

The found objects thus appear as the models of the painter. Patients and cooperatives, they let themselves be photographed, painted, molded, photocopied. They even go as far as exhibiting themselves. They ultimately appear as catalysts of the creative process. They are at the beginning of a work of exploration and experimentation which unfolds in many directions and which renews the plastic work of the artist. Rita Alaoui offered a dignified death to neglected objects. In return, they offer her art a new life.

Omar Berrada, 2015
(writer and curator)

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