Jérôme Migayrou

Rita Alaoui appartient aux jeunes talents de cette scène artistique contemporaine qui par un travail rigoureux participe à la mission de l’art contemporain qui est, et à toujours été, de déranger, de bousculer, et de perturber. Serons-nous perturbés par la galerie de portraits que nous propose Rita Alaoui, ces portraits d’objets trouvés au grès des promenades, des voyages. C’est un art du déplacement, un travail issu de la contemplation, de la flânerie qui nous est proposé.

Ramasser, dessiner, ranger, classer, et puis donner vie, donner naissance au cœur de la matrice artistique. Il nous est ainsi offert la chance de regarder différemment des objets que nous avons pourtant l’habitude de voir chaque jour. Ces objets devenus œuvres sont ainsi nés à nouveau. Objets trouvés, ils deviennent objets vivants grâce au délicat et fin travail de composition.

Autour d’un travail essentiellement organique qui croise la photographie, le dessin, le collage, et la peinture, Rita Alaoui propose quelque chose de très instinctif qui révèle le lien que nous avons avec la nature. Pour autant face à cette immédiateté, la mise en scène révèle un autre rapport plus complexe que l’artiste entretient avec ce qui a été patiemment recueilli, ramassé, collectionné.

La capacité d’observation de Rita Alaoui forge son travail. C’est cette capacité assise sur une sensibilité délicate, qui lui offre de pouvoir voir cette nature en dehors d’une quotidienneté qui nous aveugle. Rita Alaoui nous réapprend à nous arrêter sur ces miracles de la nature que sont une feuille, une écorce, un bois flotté, un coquillage, une coloquinte ou encore la cosse séchée et racornie d’une graine. Il y a quelque chose de primaire dans le fait de ramasser, de recueillir et c’est la force de ce lien immédiat avec la nature qui peut-être nous manque aujourd’hui.

Cette dialectique entre imaginaire et observation est donc posée et elle vient toucher en nous la question de notre rapport à la nature. Cette question nous invite évidemment à une réflexion sur la relation de l’homme qui dépouille une nature qui lui a pourtant tout donné. Même si le propos de Rita Alaoui ne se positionne pas directement sur le volet de l’écologie, il nous revient d’y réfléchir, et d’y réfléchir vraiment, si nous souhaitons que demain la vie continue à être.

Surtout Rita Alaoui nous fait une proposition, une proposition audacieuse qui a la simplicité du regard d’un enfant, elle nous propose une réappropriation du monde. Au cœur de son travail se situe la question de son rapport au monde et au réel. Son imaginaire est animé par des symboles que ces objets d’os et de bois représentent. C’est le fruit de cette confrontation entre le rapport symbolique aux objets et l’imaginaire de l’artiste qui construit la beauté d’une formidable réalité artistique.

Rita Alaoui, au final nous offre le plaisir d’être étonné. Elle nous offre le plaisir d’un accès privilégié à son univers, au sens intime du terme, un peu comme un collectionneur qui nous présenterait son très secret cabinet de curiosité. Il se dégage ainsi de son travail une impression de bienveillance à l’égard de ces objets. Ils sont choyés, protégés, mis en valeur. Rita Alaoui semble nous inviter à les contempler avec un regard nouveau, heureux, elle nous proposer de nous étonner de ces formes incroyables que la nature nous livre dans la plus pure spontanéité.

Rita Alaoui nous émerveille par la finesse de son travail et la minutieuse intelligence qui s’en dégage.

Jérôme Migayrou, 2016
(Directeur de l’Institut Français de Tanger)

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