Rita Alaoui & Théo Bellanger
Dans le contexte de l’exposition : Parle-moi du jardin de ta grand-mère
Centre Tignous d’Art Contemporain, Montreuil 04 mai – 20 juillet 2024
Quelle est pour toi la symbolique du jardin ?
Le jardin évoque pour moi la protection, l’enfance, le paradis, l’abondance…que des symboliques positives. Il est aussi le symbole du cycle infini de la vie, de la renaissance et de la patience. Dans tous les textes sacrés, la symbolique du jardin est importante, ce lieu clos que l’on cultive et qui nous invite à nous connaitre tout en apprivoisant un espace sauvage.
Quand j’étais petite et que j’entendais ma grand-mere chanter tous les matins aux plantes du jardin pour qu’elle pousse vite, je me disais que c’était un lieu à part, ou l’on pouvait communiquer avec le vivant !
Dans ce monde moderne où la plupart d’entre nous vivent coupés de la nature, il est important pour moi que l’homme puisse trouver son jardin, tout en vivant en ville. Trouver ce lieu ou l’on se retrouve avec soi-même pour méditer, contempler et se recentrer. Un jardin peut s’inviter sur une terrasse, sur un bout de dalle ou au milieu d’un prés, peu importe, l’essentiel est un bout de végétal dont on prend soin.
Mais n’oublions pas que le jardin est une fabrication humaine, il peut également représenter une illusion, un leurre…
Quel jardin as-tu voulu créer ici ?
J’ai voulu créer un jardin universel dont nous avons besoin pour se ressourcer, se soigner et pour lier un lien avec le vivant.
Je pense être influencé par plusieurs types de jardins, mais dans la forme j’ai surtout choisi de représenter un jardin minimaliste, méditatif, inspiré des jardins Zen ou il n’y a pas de terre.
Ce jardin se constitue comme la trace d'un savoir ancestral dont la feuille de henné est l'emblème. En effet, ce jardin est représenté au sol avec un seul élément : des feuilles de henné séchées bordées de gravillons.
Évidement il y a aussi l’influence du jardin arabe qui fait partie de mon histoire. Il est considéré comme un bout de paradis sur terre ou la rareté de l’eau et l’ensoleillement sont 2 défis que le jardin arabe doit relever et je pense que c’est un sujet qui de plus en plus d’actualité. Et puis, c’est lieu de plaisir ou l’on déguste des fruits et cultive des plantes médicinales.
De ce jardin de feuilles séchées ont fleuri des végétaux au mur qui ont été peint à l’aide de pigment de henné sur papier aquarelle. On retrouve également dans la même salle des objets ayant servi lors de performances-rituels qui deviennent des objets-témoins des soins ainsi prodigués. L’eau est importante aussi. Je tiens à montrer l’eau qui a servi pendant les performances. Une eau trouble certes mais qui nettoie et porte une histoire.
Je voudrais aussi te dire un mot sur le choix de plante. Pourquoi le henné ?
Cette plante porte une symbolique forte pour moi car petite je souffrais d’exéma sur les avants bras et mon arrière-grand-mère me soignait avec un cataplasme de henné. Cette plante est donc la première avec laquelle j’ai eu un contact charnel et curatif, qui m’a inspirée un corpus d’œuvre, Lawsonia Cataplasm Garden (du projet de recherche autour des soins procurés par les plantes médicinales, qui continue d’évoluer).
Depuis mon enfance, je suis familière des différents rituels et remèdes que ma grand-mère fabriquait à partir des plantes de son jardin. Lavande, verveine, jasmin, origan et surtout henné : ces plantes qui constituent l'essentiel de la pharmacopée marocaine tel que le pratiquait ma grand-mère et nombreuses femmes au Maroc. Toutes les plantes m’intéressent pour leur vertu curatrice mais aussi tinctoriales.
Ma démarche cependant s’inscrit dans une volonté plus grande de repenser nos modes de guérison actuels contre une médecine allopathique systématique, normative pour une médecine plus douce et holistique.
Ce jardin au-delà d’établir un dialogue avec le monde végétal, encourage un retour à des soins naturels, et questionne notre utilisation systématique de médicaments, et, plus généralement, la relation que nous entretenons avec notre environnement.
Ce Jardin est un espace de guérison, comme un appel à renouer un lien organique, primaire, avec les plantes, par l'intermédiaire du soin, de soi-même et d'autrui.
L'installation jardin, nous livre alors aux mains bienfaitrices et savantes de la grand-mère guérisseuse…mes propres mains ont été moulés comme symbole d’une figure qui transcende les cultures et revêt ainsi une dimension universelle, plantant un jardin en chacun d'entre nous.
Dans tes peintures, on retrouve beaucoup le motif du végétal et des plantes. Quel est ton rapport à la nature et comment cherches-tu à la représenter ?
Les plantes nous apprennent et nous protègent, nous devons les préserver et leur rendre hommage. Mon rapport à la nature est essentiel. J’ai toute ma vie était très liée à l’océan, à la montagne, au paysages désertiques, aux arbres, aux plantes.
Ce n’est donc même pas une question pour moi. Le motif du végétal est un langage tout à fait instinctif qui fait partie de mon travail depuis toujours. Il évolue évidement mais je cherche toujours à représenter une nature bienveillante, puissante et sacrée.
Dans beaucoup de cultures ancestrales, allant du vaudou africain au chamanisme amérindiens, une montagne, un caillou, une fleur, un animal, un fleuve, le vent ou un être humain sont vivant et sont régie par la même force, et c’est comme cela que je vois les choses également. Plus comme une manière de vivre et de me relier aux autres plutôt qu’une religion.
J’ai mon temple. Je collectionne des vestiges de la nature, comme tu as pu voir dans mon atelier et tous ces objets sont intimement liés à mes peintures, dessins et projets en général.
Les objets de la nature sont des témoins, des amis qui me suivent d’atelier en atelier et qui sont comme des traits d’union entre la terre et moi. Je m’en réfère régulièrement pour dessiner et peindre et comprendre tout un tas de sujets lies aux rituels ancestraux de guérison, à la botanique, à l’herboristerie ou au paysage. Il m’arrive souvent de faire des obsessions, une sorte de focus sur un seul sujet, une seule plante comme pour la série de peintures des orpins, ou j’ai d’abord dessiné de manière automatique des centaines de fois. Dans ma série de peinture, que je nomme Garden série, c’est un peu diffèrent, je représente des paysages entre fiction et réalité qui ont tous comme point commun une nature luxuriante dans laquelle l’homme est absent mais représenté par des chaises vides.
On retrouve toujours ce rapport homme-nature.
On a dans cette exposition des peintures sur papier à laquelle s’ajoute une installation avec le henné. En quoi ce dialogue est-il important entre la peinture qui est purement picturale et l’installation, comme si la peinture sortait de manière In Situ ?
Oui en effet, de ce jardin de feuilles séchées ont fleuri des végétaux, des portraits de fleurs au mur qui ont été peint à l’aide de pigment de henné sur papier aquarelle.
La matière première est au sol, celle qui a permis de peindre. Mais avant de passer de l’une à l’autre je suis passée par une étape de guérison, que tu connais pour avoir assister à une de mes performances. C’est comme si j’ai toujours besoin d’aller au bout des possibilités que m’offrent une plante. J’ai donc d’abord développé un cataplasme en me basant sur la recette de mon arrière-grand-mère que j’ai utilisé dans ma vidéo-performance également. Puis ce faisant, la texture et la matière m’appelait ! Cela allait au-delà des bienfaits médicinaux, il y avait quelque de jouissif dans sa manipulation et je ne pus m’empêcher de l’appliquer ailleurs que sur mes mains ou les mains des autres, la toile et le papier sont devenus des supports pour créer des empreintes, des formes. Il a fallu quand même que je réussisse à pousser la recette du cataplasme un peu plus loin pour fixer la couleur et obtenir un pigment qui soit pérenne.
Le dialogue est donc important. De la plante est née un jardin fictif et de ce jardin sont nées des peintures.
Y’a t-il un geste magique dans ton art ?
Je ne sais pas. Je crois que l’art est en soi magique, inexpliqué. Quand on voit ce que les hommes préhistoriques ont été capable de réaliser dans les grottes, je me dis que oui l’art est de l’ordre de la magie.
Tu travailles des très grands formats (sur différents supports) comme si tu cherchais à capter ton contemplateur au sein même de ton art. En quoi la dimension immersive est-elle si présente dans ton travail ?
Je ne pense pas que mes formats soient si grands ! Mais peut-être que je ne me rends pas compte. Ce qui est sûr c’est que je rêve de plus en plus grand et que ces formats-là parfois ne me suffisent plus !
Je crois que je cherche surtout à magnifier la nature, à lui rendre hommage, à lui rendre sa place ! Et oui la dimension immersive et mono-sujet aide le spectateur à avoir une prise de conscience, c’est ce que je souhaite. Que l’on se retrouve le temps d’un instant dans une bulle qui fait du bien et qui questionne.
J’aime également beaucoup les miniatures et il m’est arrivé de faire de toutes petites installations ou le spectateur devait de se baisser pour voir. Disons que j’aime jouer avec les rapports d’échelle entre le spectateur et l’œuvre.
Je pensais aussi à une question sur la frontière entre l’abstraction et la figuration. Jusqu’où tu guides le regard de celui qui regarde tes œuvres ? Ouvres-tu une autre porte ou es-tu que tu te concentres sur un seul motif ?
Bien sûr, le regard et l’interprétation du spectateur ne m’appartiennent pas. Je suis en effet entre abstraction et figuration et je tiens à le rester. Parfois j’ai envie d’abstraction totale, mais ce n’est pas moi, du moins pas pour le moment, j’ai beaucoup de choses à raconter !
Il est important pour moi d’évoluer dans ce monde des possibles, dans ce flou. La porte doit toujours rester ouverte !
Paris 21 avril 2024