Pauline Lisowski

Rita Alaoui : l’âme des pierres

D’abord peintre, Rita Alaoui s’est éprise de passion pour des objets trouvés, des éléments qui renvoient à l’histoire de lieux et d’architectures. Glaneuse, collectionneuse, attentive aux éléments qu’elle découvre, elle construit son monde à partir de ce qu’elle recueille. Ses fragments qui constituent une partie de la mémoire d’un territoire incarnent le passé géologique d’un site et sont sujets de récits, de pouvoirs que chacun de nous leur attribuons. Son attachement aux « pierres curieuses » comme elle les nomme, aux os, aux bois flottés et aux objets auxquels on attribue un symbole au fur et à mesure de l’attachement qu’on leur porte se révèle dans ses compositions, « paysages miniatures » où ils sont acteurs d’une scène. La pierre est pour elle un élément inépuisable à partir duquel elle porte son attention. Elle l’explore comme un territoire où rechercher les lignes d’une topographie.

Ses dessins révèlent les textures de cette matière silencieuse et qui pourtant a beaucoup à nous dire. De son observation du volume, de la couleur, des anfractuosités, de la brillance, des variations entre les faces brutes et polies des pierres, un espace cosmique, une cartographie d’un territoire, une forme vivante apparait selon ses œuvres graphiques. Les travaux sur papiers de Rita Alaoui renvoient aux diverses relations que nous pouvons entretenir avec les éléments issus des milieux dits de nature. Ses œuvres révèlent « ces formes travaillées par les phénomènes naturelles, les animaux, le temps qui en laissent des marques indélébiles » précise Rita Alaoui. L’artiste dessine leur portrait en s’en approchant au plus près pour saisir leur essence. La beauté naturelle des éléments est mise en lumière dans ses dessins à la ligne fluide.

Dans ses peintures à l’acrylique, elle poursuit son attention aux détails et aux formes, bosses, porosités et cavités présents dans les objets qu’elle recueille. D’autres réalisées aux brous de noix témoignent d’une gestuelle, d’un mouvement, celui de la collecte ou de la caresse. Récemment, la vue du jardin depuis son atelier l’amène à des œuvres picturales où elle compose des espaces dans lesquels elle confronte des objets, du mobilier à une nature domestiquée.

Ses objets collectés donnent également naissance à des assemblages réunissant des images, des textes, tels des espaces miniatures pour raconter des souvenirs. Elle prête un soin particulier aux objets qu’elle dispose dans son atelier telle une archéologue. Puis, elle les assemble et des images de personnages se révèlent chez celui qui les contemple. Ses œuvres sont teintées d’une certaine spiritualité, font écho à des fétiches et à des objets pour des rituels. Le fil protège, répare l’élément, sorti de son milieu et préservé pour devenir sujet de mythologies. Nourrie par la lecture des poèmes consacrés aux pierres de Roger Caillois, l’artiste donne une âme à ces éléments, les personnalise, en repensant à ses souvenirs d’enfant qui donnait des noms aux objets. Les pierres deviennent rassurantes, réconfortantes, bienveillantes et incarnent une histoire. Elles contiennent l’esprit de lieux archaïques. Rita Alaoui aime donner des titres évocateurs à ses œuvres, qui donnent parfois suite à des récits.

Elle s’intéresse également aux arbres et a réalisé des maquettes de forêts miniatures qu’elle présenta à 1m10 du sol. Elle incitait les visiteurs à se pencher, à se baisser pour approcher l’œuvre. Ses œuvres rappellent combien l’homme cherche à montrer sa puissance face à la nature et nous convient à une humilité face à ces êtres vivants qui peuplent les forêts. L’histoire se passe à l’intérieur de ses pièces, invitations à respecter les poumons de la nature.

Dans ses dessins et livres d’artistes, la pierre, les autres matières organiques et minérales qu’elle ramasse, réunit, personnifie, témoignent d’un moment du quotidien conservé comme un souvenir. Ses œuvres se rattachent à des curiosités qui pourraient avoir leur place dans un musée d’histoire naturelle.

Son travail artistique a une portée universelle et mêle plusieurs références, de l’art du jardin intérieur au Maroc, aux dimensions animistes présentes dans d’autres cultures ainsi qu’à un certain romantisme. Les pierres pour Rita Alaoui l’amènent à convoquer un seul et même territoire et lui permettent de dépasser les frontières entre son pays d’origine, le Maroc et les autres contrées. Ses œuvres tendent à nous faire prendre conscience des rapports entre humains et non-humains.

Désormais, elle se laisse d’autant plus guidée par son approche de la matière. Ses sculptures en céramique furent imaginées avec la contrainte de créer des formes en 4, 5 gestes, tracés de la main directement sur la terre. En expérimentant la terre de façon quasi primitive, elle recherche la spontanéité, l’origine de la vie. Ses objets sculpturaux sont fait pour être pris dans une main et s’apparentent aussi bien à des personnages, des montagnes ou des coraux.

Récemment dans le cadre de son exposition au Café Parisien à Saulieu, Bourgogne, elle a réalisé une œuvre en trois dimensions, Fétiches, constituée de bois flottés suspendus, noués de fils qu’elle glorifiait comme des objets sacrés dans un temple. À ses compositions, installations, peintures in situ, ensemble d’œuvres qui crée un récit, elle pense l’exposition comme un réceptacle de ses créations, voire de son atelier. Ainsi, son exposition « Vos rêves » à Artéfact Project Space dans le marais, Paris, lui a offert l’occasion de réaliser une œuvre pour le lieu, peinture murale, espace pour ses œuvres de petits formats.

Son univers artistique offre un aller-retour entre le microcosme et le macrocosme, entre l’élément minuscule et le milieu où elle observe les éléments végétaux et minéraux. Ses créations nous incitent à repenser nos liens envers la nature, encore préservés dans des cultures anciennes qui la respectent. Celles-ci rappellent combien les éléments qui émergent de l’eau ou du sol incarnent les traces laissées par le passage du temps.

Pauline Lisowski, 2020
Commissaire d’exposition

Rita Alaoui: The Soul of Stones

 Initially a painter, Rita Alaoui became passionate about found objects, elements that refer to the history of places and architectures. A forager and collector, attentive to the elements that she discovers, she builds her world based on what she gathers. Her fragments, which constitute part of the memory of a territory, represent the geological past of a site and are the receptacles of the stories or forces that each one of us attributes to them. Her fondness for ‘curious stones’ as she calls them is revealed in her compositions, ‘miniature landscapes’ in which they become the actors of a scene. These elements are bones, driftwood, and objects that we attribute symbols to as our attachment to them gradually grows. Stone is an inexhaustible material for her, on which she focuses her attention. She explores is like a territory, seeking its topographical lines.

 Her drawings reveal the textures of this silent material and that nevertheless has a lot to tell us. From her observation of volume, colour, crevices, sheen, variations between the raw and polished faces of the stones, a cosmic space, the cartography of a territory, a living form emerges from one graphic work to the next. The works on paper by Rita Alaoui refer to the various relationships that we might maintain with the elements derived from ‘natural’ environments. Her artworks reveal ‘the forms wrought by natural phenomena, animals, and time, which leaves its indelible marks,’ Rita Alaoui explains. The artist draws their portrait by observing them as closely as possible to capture their essence. The natural beauty of the elements is highlighted in her drawings with fluid lines.

 In her paintings in acrylic, she continues her attention to details and to the shapes, lumps, porosities, and cavities present in the objects she collects. Others created using walnut stains bear witness to a set of gestures, to a movement of gathering or caressing. Recently, the view from the garden as seen from her studio has led her to create pictorial works in which she composes spaces where she confronts objects or furniture within a domesticated natural environment.

 Her collected objects also give rise to assemblages, bringing together images and texts – like miniature spaces for recounting memories. She takes particular care with the objects that she arranges in her studio like an archaeologist.  She then assembles them and images of characters are revealed by those who contemplate them. Her artworks are tinged with spirituality, echoing fetishes and objects used for rituals. Thread protects and repairs the element, which has left its milieu and has now been preserved to become a subject of mythologies. Inspired by poetry dedicated to the stones of Roger Caillois, the artist lends these elements a soul,  personalising them, while reflecting on her childhood memories of giving objects names. The stones become reassuring, comforting, benevolent and physically represent a history. They contain the spirit of archaic places. Rita Alaoui likes to give evocative titles to her artworks that sometimes elicit stories.

She is also interested in trees and has made models of miniature forests that she presented 1m10 above the floor. She encouraged visitors to lean over, to bend down to approach the artwork. Her artworks recall the extent to which people seek to wield power over nature and we settle for a humble position as we confront these living forest-dwellers. The story unfolds inside her pieces – invitations to respect the lungs of nature.

In her drawings and artists’ books, the stone, the other organic matter and minerals that she collects, unite, personify, and attest to a moment in everyday life preserved like a memory. Her artworks are connected to curiosities that could easily find their place in a museum of natural history.

 Her artistic work has universal scope and combines multiple references, from the art of interior gardening in Morocco, to the animist dimensions present in other cultures, as well as a touch of romanticism. Stones, for Rita Alaoui, lead her to convoke a single territory and enable her to cross the borders between her country of origin, Morocco, and other lands. Her artworks tend to help us become aware of the relationships between humans and non-humans.

 Lately, she has allowed herself to be guided all the more by her approach to matter. Her ceramic sculptures were designed within the constraint of creating forms using just four or five gestures, traced by the hand directly out of the clay. By experimenting with clay in an almost primitive way, she seeks spontaneity, the wellspring of life. Her sculptural objects are made to be held in one hand and resemble  figures as much as they do mountains or coral.

 Recently, within the framework of her exhibition at the Café Parisien in Saulieu, Bourgogne, she created a three-dimensional work, Fétiches, made up of suspended string-bound driftwood pieces, which she glorified like sacred objects in a temple. In her compositions, installations, and in-situ paintings, a collection of artworks that tell a story, she sees her exhibition as the receptacle of her creations or even of her studio. In this sense, her exhibition Vos rêves [Your Dreams] at Artéfact Project Space in the Marais, Paris, provided her with the chance to create an artwork for the space, a mural painting and a space for her small-format works.

 Her artistic world offers a to-and-fro between microcosm and macrocosm, between the tiniest element and the environment in which she observes plant and mineral elements. Her creations encourage us to rethink our connections with nature, still preserved in the ancient cultures that respect it. These cultures remind us how the elements that emerge from water or earth embody the traces left by the passage of time.

Pauline Lisowski, 2020
Curator
Translated by Anna Knight

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